Les bois tropicaux dans les ouvrages hydrauliques et les constructions marines
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https://doi.org/10.19182/bft2024.360.a37571Mots-clés
bois tropicaux ouvrages hydrauliques constructions marinesRésumé
Les structures en bois utilisées pour des applications en milieux marins sont exposées à des environnements difficiles dans les zones littorales (Tsinker, 1995). Ces bois sont souvent exposés à de sévères conditions de dégradation causées par d’importantes charges mécaniques (poids, vagues, chocs de débris, etc.), par l’abrasion, mais surtout par de nombreux agents biologiques de dégradation du bois (Treu et al., 2019). Que ce soit en contact avec l’eau salée, saumâtre (estuaires, lagunes) ou douce, et en fonction de leur niveau d’immersion, les bois sont soumis à de nombreuses attaques d’agents pathogènes tels que les bactéries, les champignons, les insectes et les térébrants marins (Oevering et al., 2001 ; Cragg et al., 2007 ; Can et Sivrikaya, 2020). Dans les eaux salées ou saumâtres, les mollusques et les crustacés térébrants sont les principaux agents de dégradation des bois utilisés pour les ouvrages immergés (Fouquet, 2009). Malgré sa biodégradabilité, le bois est un matériau d’intérêts pour la construction marine, notamment en raison de son caractère renouvelable, de sa résilience, de son rapport résistance/poids favorable, de sa capacité à absorber les chocs, mais aussi de sa flexibilité en matière de fabrication, de conception et de réparation (Williams et al., 2005). En ce sens, l’utilisation du bois en milieu marin concurrence d’autres matériaux tels que l’acier ou le béton.
Par le passé, des traitements chimiques étaient appliqués au bois afin d’obtenir un produit utilisable en classe d’emploi 5 (EN 335, 2013 ; EN 350, 2016), pour le protéger vis-à-vis des attaques biotiques et ainsi prolonger sa durée de vie en environnement marin (photo 1). Cependant, l’impact négatif de ces types de traitements biocides à base de créosote ou de CCA sur la santé humaine et l’environnement, en raison des risques de lixiviation des produits actifs (Mercer et Frostick, 2012, Martin et al., 2021), a conduit à leur interdiction en Europe et leur forte restriction aux États-Unis d’Amérique depuis 2003[1],[2]. Dès lors, de nombreux travaux de recherche se sont portés sur des solutions de traitements alternatives à base de cuivre alcalin quartenaire (ACQ-based preservative) (Hellkamp, 2012 ; Humar et al., 2013), de 1,3-diméthylol 4,5- dihydroxy éthylène urée (DMDHEU), de résine de mélamine méthylée (MMF), d’anhydride acétique, de résine phénolique à base de formaldéhyde (PF) ou encore d’alcool furfurylique (Klüppel et al., 2014; Westin et al., 2016, Galore et al., 2023). Cependant, les technologies de modification du bois actuellement disponibles concernent essentiellement des produits de niche qui ont un coût important, ce qui limite leur utilisation à des produits de plus grande valeur ajoutée (Treu et al., 2019). À l’heure actuelle, aucun produit de préservation du bois n'est approuvé en Europe pour les applications marines. Les nouvelles méthodes de protection du bois doivent répondre à la fois aux exigences d'efficacité contre les organismes de dégradation du bois, mais aussi à l’absence d'effets secondaires nocifs pour les organismes non ciblés.
Certaines essences tropicales sont traditionnellement utilisées dans les travaux portuaires en régions tropicales et/ou tempérées, car considérées comme résistantes aux térébrants marins, couvrant naturellement la classe d’emploi 5 (bois immergés dans l'eau salée, eau de mer ou eau saumâtre, de manière régulière ou permanente) : angelim vermelho, azobé, greenheart, okan, wallaba[3]… Cependant, les marchés de certaines de ces essences les plus couramment utilisées (azobé, okan, greenheart) apparaissent de plus en plus en tension avec une irrégularité des approvisionnements qui incitent les entreprises spécialisées dans les travaux portuaires à se tourner vers de nouvelles essences (photo 2) avec des propriétés au moins équivalentes. Les essences de bois tropicales moins connues sont difficiles à commercialiser en raison du manque de données issues d'essais fiables sur leurs performances, en particulier sur leur durabilité naturelle. Pour ces nouvelles essences, la résistance aux térébrants marins doit être aujourd’hui validée en laboratoire ou par des expérimentations en conditions réelles d’utilisation, dans le but de contribuer positivement à l'utilisation des bois tropicaux dans les structures marines (photo 3).
Par ailleurs, on observe une évolution des attaques des térébrants marins sur les bois, celles-ci « migrant » vers le nord en relation avec une tendance au réchauffement des eaux marines et un élargissement de l’aire naturelle de répartition de ces térébrants (lien supposé avec le réchauffement climatique, Zarzyczny et al., 2023) (figure 1). Cette évolution impacte le comportement des bois classiquement utilisés en milieu marin, certaines essences réputées très durables s’avérant moins résistantes que d’autres jusqu’à présent délaissées pour ce type d’usage (Palanti et al., 2015 ; Williams et al., 2018).
Les connaissances actuelles sur la résistance des bois aux attaques des agents biologiques de détérioration en milieu marin sont donc partiellement remises en question. Cette résistance naturelle est supposée être liée aux caractéristiques suivantes (Gérard et Groutel, 2020) : (1) grain fin à très fin couplé à une densité élevée ; (2) taux de silice élevé ; (3) présence dans le bois de composés chimiques répulsifs (= métabolites secondaires).
En effet, les bois utilisables pour des ouvrages hydrauliques en milieu marin présentent pour la plupart une densité moyenne supérieure à 0,75, cette densité moyenne étant le plus souvent supérieure à 0,85 (figure 2).
Il est encore aujourd’hui nécessaire, (i) de mieux comprendre comment et pourquoi les xylophages marins attaquent le bois, et (ii) de se concentrer davantage sur les différentes espèces d'organismes xylophages et sur leur mode d'action en fonction de la nature des différents bois testés. La mise en place de sites d'essais, permanents et temporaires, permettrait de surveiller l'abondance et la répartition des espèces et l'évolution des risques liés pour les matériaux bois.
Photo 1.
Ponton abrité, réalisé avec des poteaux en pin radiata (Pinus insignis) traités au CCA (Chromated Copper Arsenate), à Nouméa, Nouvelle Calédonie.
Photo K. Candelier.
Photo 2.
Bois tropicaux testés en milieu marin, depuis 1999 et conformément à la norme EN 275 (1992), sur le site de la station de recherche marine de Kristineberg en Suède (Westin et Brelid, 2022).
Photo M. Westin et P. L. Brelid.
Photo 3.
Utilisation de bois tropicaux en ouvrage hydraulique : pose d’une porte d’écluse en Azobé.
Photo Entreprise Wijma (Deventer, Pays-Bas), extrait Gérard et Groutel (2020).
Figure 1.
Zones géographiques où la « tropicalisation » a été identifiée. La flèche rouge vers le haut indique une augmentation des espèces marines tropicales et la flèche bleue vers le bas une réduction des espèces tempérées (Zarzyczny et al., 2023).
Figure 2.
Répartition des densités des principaux bois commerciaux couvrant naturellement la classe d’emploi 5 (bois immergés dans l’eau salée de manière régulière ou permanente), source : Tropix (Gérard et Groutel, 2020).
[1] Journal officiel de l'Union européenne, Directive 2003/2/EC du 6 janvier 2003, Clause (3).
[2] Agence américaine pour la protection de l'environnement, https://www.epa.gov/ingredients-used-pesticide-products/chromated-arsenicals-cca, consulté le 2 octobre 2024.
[3] Respectivement Dinizia excelsa, Lophira alata, Chlorocardium rodiei, Cylicodiscus gabunensis, Eperua spp.
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Références
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